Le Prologue de la Carte Oubliée

Publié le 7 Août 2013

Dans un peu moins de deux semaines, la correction du livre devrait être terminée. (Pour le moment 12 chapitres sur les 17 que comptent le premier tome ont été corrigé) Une fois cette étape derrière moi, tout devrait s'accélérer. En attendant, et pour vous faire patienter, je publie le prologue. Bonne lecture :)

Prologue



9 novembre 1989, 23 h 30, Berlin-Est

La lourde tête de la masse s’élevait vers le ciel à la rencontre de la lune. Violemment, elle s’abattit sans aucune pitié vers le mur. Elle envoya voler au travers de son mouvement circulaire des pans de gravier, de béton, à travers les airs. Nullement rassasiée, elle se redressa. La lune d’un baiser lui donna la force nécessaire à son ouvrage et de nouveau elle fila à vive à allure vers l’impact inéluctable. Détruisant, concassant, avec toute sa fureur, elle combattait le Mur. Allait à sa rencontre encore et encore sans signe de fatigue. Sur son manche, la poigne de son propriétaire, Kristian Joppen, la menait avec la précision d’un métronome et la rage d’un barbare.

Kristian n’était pas le seul à s’attaquer au Mur. Des centaines, des milliers comme lui, qui, armés de pioches, de pelles, de bêches, de pieds-de-biche, de barres de fer, de marteaux, se battaient à ses côtés avec la même ferveur. Tous étaient portés par cette impétueuse envie de liberté, de revoir leurs familles, et par les clameurs accueillantes de l’autre côté du Mur que le vent portait jusqu’à eux.

Alors Kristian le vit. Tous le virent, et beaucoup le montrèrent du doigt. Sous les acclamations de la foule et la lumière des miradors. L’homme à la redingote et au chapeau haut-de-forme dansait au sommet du mur en riant dans sa barbe noire et bouclée. Kristian ne le connaissait que trop bien. Il l’avait plusieurs fois vu en rêve. L’homme fou. Le Voltigeur. Il était là. Il dansait pour lui. Et pas seulement pour lui. Pour eux. Pour eux tous, car, Kristian en était persuadé, l’homme fou leur avait rendu visite à tous. Il était le liant de leur colère, le socle de leur courage.

À une centaine de mètres à sa droite, un pan entier du Mur s’écroula sous les cris de joie des assaillants. Une marée humaine, déferlant dans l’entonnoir, disparaissait à l’Ouest. Kristian hurla de bonheur en s’acharnant sur son propre morceau de mur. Ils avaient gagné.

Kristian ouvrit les yeux. Le choc du réveil fut brutal. Mais il sourit en se redressant sur le lit. Ce rêve, cet ultime rêve était l’aboutissement logique et la fin heureuse d’une longue vie déjà passée dans l’obscurantisme. Il se leva et se dirigea vers la cuisine, attiré par le son grésillant de sa petite télévision. Sa femme s’était endormie, la tête posée au creux de ses bras, eux-mêmes soutenus par la table. Il la porta jusqu’au lit. Il la couvrit, se pencha pour l’embrasser tendrement sur le front et lui murmura :

— Je sors.

« Quand ceci entre-t-il en vigueur ? » demanda le journaliste. Günter Schabowski fouilla nerveusement ses notes « Autant que je sache, immé... » Kristian éteignit le poste de télévision. Il sortit sans faire de bruit par la porte de la cuisine. Il passa par la remise et en ressortit, la lourde masse que lui avait laissée son père à la main.

Attiré par les clameurs qui s’élevaient des rues, il sortit d’un pas sûr, presque en courant. Il était, plus que jamais, bien décidé à transformer un rêve en réalité.
Le Prologue de la Carte Oubliée